Fire Punch (Chronique Mangas et Japanimation #1)

La plupart du temps, j’ai une certaine tendance à être assez analytique avec les œuvres que je lis, regarde ou même joue. Ce n’est pas pour autant que je passe mon temps à décrypter tout ce que j’y vois. Le plus important pour moi est de m’immerger dans l’histoire et l’univers qu’on m’offre. Je cherche surtout à apprécier le moment et à me divertir, l’aspect analyse et réflexion vient après. En commençant à rédiger cette chronique, je me suis demandé sous quel angle aborder Fire Punch. Pour Fight Club par exemple, j’avais mis en avant l’intelligence de son écriture et ses multiples niveaux de lecture. Mais là, bien que j’avais découvert plusieurs pistes de réflexions et idées intéressantes en lisant Fire Punch, j’ai décidé de faire autrement. Ainsi, je vais essayer de tout simplement vous exposer ce manga et son univers, puis tout simplement vous expliquer pourquoi je l’ai aimé, sans me perdre dans mes analyses habituelles.

Fire Punch est un manga écrit et dessiné par Tatsuki Fujimoto, publié au Japon entre avril 2016 et février 2018. A l’heure où j’écris ces lignes, les six premiers tomes sont sortis en France aux éditions Kazé. Je l’ai découvert complètement par hasard et ce fut une excellente surprise. Je vous raconte? Vous n’avez pas vraiment le choix, donc on va dire que je vous raconte. J’en avais d’abord entendu parlé via une publicité sur YouTube. Comme tout le monde dans cette situation, je me rue sur le bouton «Ignorer l’annonce» dès qu’il apparaît, mais cette fois-ci j’ai été intrigué. Une simple silhouette au milieu des flammes, le crépitement du feu et, bien entendu, des citations élogieuses de tel presse spécialisée (ou non) ou de tel auteur, notamment Yusuke Murata, auteur du manga One Punch Man, et enfin un titre qui apparaît à l’écran. Une annonce basique, mais qui ne m’avait pas laissé indifférent. Puis une amie m’en a parlé pendant que nous discutions mangas, tout en me faisant remarquer que je ne lisais que «des vieux trucs». A l’époque, j’étais à fond dans Berserk, série de mangas débutée en 1989 par Kentaro Miura et encore en cours d’écriture aujourd’hui. Le jour même, je me suis rendu à la FNAC locale pour ravitailler mon stock de mangas, et sur quoi suis-je tombé au détour d’un rayon? Le premier tome de Fire Punch. Vous vous douterez que je suis vite passé en caisse avec.

«Certains individus sont nés dotés de facultés surnaturelles. On les appelle les Élus. L’un d’eux, surnommé «la sorcière de glace», a plongé le monde dans une nouvelle ère glaciaire dominée par la famine et le chaos. Transis de froid, les hommes recherchent la chaleur des flammes.»

C’est par ces mots que commencent notre histoire. Fire Punch prend place dans un monde post-apocalyptique qui a été plongé dans une nouvelle ère glaciaire. Agni et sa petite sœur Luna sont tous les deux des Élus, des humains doués de pouvoirs surnaturels. Ils possèdent un pouvoir de régénération, et Agni utilise le sien pour nourrir son village avec sa propre chair en se tranchant régulièrement le bras. Mais un jour, des soldats de Behemdolg, dictature née des cendres de l’humanité, investit le village et tombe sur les bras qu’Agni offre aux habitants. À cause de malentendu, leur chef Doma incendie le village à l’aide de son pouvoir de créer des flammes qui ne s’éteignent qu’une fois la victime entièrement consumée. Hélas, le pouvoir de régénération d’Agni est si puissant que ses chairs se régénèrent à mesure qu’elles brûle. Sa sœur Luna n’ayant pas survécu, Agni décide de partir dans une quête de vengeance contre Doma.

Ainsi commence la longue souffrance d'Agni - Source: www.paoru.fr

Par où commencer dans les choses qui font que j’aime ce manga? Tout d’abord, j’aime beaucoup l’histoire de base, car même si l’histoire du héros qui part en quête de vengeance est tout sauf originale, le postulat de l’anti-héros plongé dans une souffrance permanente l’est déjà un peu plus. Certes, les anti-héros sont assez courants, mais avez-vous déjà vu un anti-héro en permanence recouvert de flammes qui condamnent à une mort atroce tous ceux qui entrent en contact avec lui? Probablement que non. En ce qui concerne son caractère, Agni reste hélas assez monolithique, mais cela est pallié par le fait que certains personnages le voit comme un dieu salvateur. En effet, le monde dans lequel se déroule l’histoire est extrêmement sombre et violent. Behemdolg pratique règne par la terreur sur tout son territoire et on y retrouve les pires travers dont est capable l’être humain. De nombreux survivants sont également capables des pires bassesses pour pouvoir se réchauffer. La scène racontant l’enfance d’Agni et Luna en est une belle illustration et a réussi a me mettre mal à l’aise. Esclavage, torture, massacres, viols, exécutions ommaires, gerbes de sang, voilà ce qui vous attend dans le monde de Fire Punch. C’est un manga s’adressant à un public adulte et averti. On pourrait d’ailleurs se demander si tous ces sujets très sombres sont inclus uniquement pour déranger et donner des sensations fortes, comme une forme glauque de fanservice, ou si au contraire ils sont utilisés de façon pertinente. C’est un long débat, mais je pencherais personnellement pour la seconde option, mais avec une légère inclination pour la première. Petit aparté explicatif.
Le genre du post-apocalyptique met très souvent en scène la façon dont les hommes changent de comportement lorsque leur société s’écroule. Les valeurs morales disparaissent, la méfiance et la paranoïa s’installent et la violence devient la meilleure solution à tous les problèmes. C’est un peu ce qu’on retrouve dans Fire Punch, où l’on constate à quel point les humains sont devenus immoraux, prêts à tout pour pouvoir se réchauffer, et ont une façon moyenâgeuse de voir le monde. Cependant, tout est une question de dosage pour ne pas tomber dans le malsain gratuit, et plusieurs passages m’ont fait me demander si l’auteur voulait mettre en avant la monstruosité des humains ou cherchait bêtement à choquer. A vous de vous faire votre propre avis dessus.

C'est avec ce genre de cases qu'on voit l'image de dieu que renvoie Agni - Source: www.actuabd.com

Parmi tous les personnages, il y en un, ou plutôt une, qui m’a particulièrement marqué: Togata. Cette femme est dotée d’un pouvoir de régénération surpuissant qui lui donne une très longue longévité. Sachant qu’elle déclare avoir trois cent ans et avoir connu le cinéma des années 90, on peut ainsi situer l’action au vingt-troisième siècle. Mais pourquoi parle-telle de cinéma? Parce Togata est une cinéphile. Et elle le montre. La plupart de ses interventions s’accompagnent d’une référence à un film qu’elle aime, sans pour autant sortir le lecteur du récit. En effet, le risque de faire des références à répétitions dans une histoire qui veut mettre en scène son propre univers est d’être trop dissonant avec l’univers en question, et donc de gêner le lecteur dans son immersion. Mais les interventions filmiques de Togata ne sont jamais exagérées, et sont même adaptées aux situations dans lesquelles elle les emploie. Ce qui fait que j’adore ce personnage, en plus de sa cinéphilie, c’est la mise en abîme qu’elle apporte au récit. En effet, depuis la destruction de sa collection de films et sa rencontre avec Agni, Togata s’est mis en tête de réaliser un film dont ce dernier serait le héros. Avec l’aide de son assistante, elle passe son temps à filmer Agni au cours de sa quête de vengeance, quitte à lui dicter des répliques, voire même des actions. On se retrouve alors avec une simple histoire de vengeance d’un anti-héros, mais où l’un des personnages décide de faire de celui-ci le héros de sa propre histoire. Une mise en abîme de la narration, en somme. Togata est également redoutable au combat, puisqu’elle a appris les arts martiaux, disparus depuis des siècles, en regardant des films en boucle. Et enfin, c’est une psychopathe prête à tout pour que son film avance et se tourne correctement. Elle est par exemple capable de filmer des soldats de Behemdolg sur le point de violer une jeune fille pour caractériser les méchants (spoiler: ils n’en auront pas le temps).
«Les spectateurs se réjouissent toujours de la mort des méchants. Ça a un effet cathartique. Donc plus vous commettrez d’atrocité, plus vous passerez pour des sales enflures et plus ça me légitimera pour tous vous trucider ensuite. Sans compter qu’un peu de sexe, c’est toujours bien. Allez hop! Enfilez la demoiselle!»
Face à ce genre de réplique, je suis pris entre le dégoût et l’amusement (comment ça, «sadique»?), entre le rejet et la fascination. Dans ce genre de situation, n’importe quel personnage appartenant au camp des «gentils» aurait réagi en sauvant la jeune fille. Togata, elle, agit à contre-courant en encourageant les violeurs à continuer. Le lecteur peut alors être déstabilisé par cette réaction immorale qui va à l’encontre des schémas habituels d’écriture de personnage. En bref, Togata est un personnage que je trouve assez génial pour toutes les trouvailles que je viens de vous énoncer.

D’un point de vue graphique, Fire Punch est très beau. La qualité du dessin est cependant ariable d’une page à l’autre. On alterne entre des scènes dessinées avec simplicité, parfois avec un trait qui apparaîtrait même «brouillon», et des passages beaucoup plus détaillés. Idem pour les décors, qui vont des vastes étendues de neige rapides à dessiner et des environnement qui fourmillent de détails, comme par exemple les blocs d’immeubles de la ville de Behemdolg. Cela me fait un peu penser à l’animation japonaise, où le nombre d’images par seconde et le niveau de détail sont réduits dans les scènes les moins importantes, pour ensuite augmenter fortement lors des scènes clés. Cette technique est appelée le sakuga.
J’aime aussi énormément le design d’Agni, grand baraqué recouvert de flammes lumineuses et de chairs sombres et brûlées. Son visage est la seule partie de son corps qui ne soit pas complètement enflammé, comme pour faire apparaître chez lui une part d’humanité. Habitué à la douleur qui assaille son corps en permanence, il affiche presque en permanence un air impassible. Et en parlant d’expressions faciales, l’auteur est très bon pour retranscrire les émotions sur le visage de ses personnages, notamment la souffrance, la détresse, la colère, la peur et autres joyeusetés. J’ai aussi été agréablement surpris par les couvertures des tomes, dessinées dans un style aquarelle m’évoquant le calme et la détente pour la plupart d’entre elles (couvertures ci-dessous récupérées sur nautiljon.com).




En conclusion, je vous dirais que Fire Punch est un manga qui a pour moi été une excellente surprise. J’ai été charmé par son postulat du personnage couvert de flammes inextinguibles, trahi par un pouvoir de régénération qui devrait pourtant lui assurer une bonne santé, par Togata la psychopathe cinéphile, par le dessin malgré sa qualité variable, et par son univers impitoyable qui en fait une œuvre réservée à un public averti, même si sa dureté de ton peut parfois paraître exagérée. Je n’irais pas pour autant dire que c’est une des meilleurs mangas que j’ai lu, car ma lecture est trop récent à mon goût pour qu’on puisse avoir du recul sur cette question. Si vous n’êtes pas facilement impressionnable et que vous vous sentez prêt à découvrir une histoire sombre, violente et sans concession, alors n’hésitez pas à vous plonger dans le monde glacial et pourtant brûlant de Fire Punch.

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