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Couverture par Keno Don Rosa de l'album Music inspired by the Life and Time of Scrooge McDuck de Tuomas Holopainen |
Lorsqu’une œuvre obtient la popularité et la reconnaissance qu’elle mérite, il n’est pas rare que d’autres auteurs viennent la reprendre pour en enrichir l’univers et en donner leur propre vision, quitte à dépasser l’œuvre originale. Par exemple, L’Empire Contre-Attaque est souvent cité comme le meilleur opus de la saga Star Wars, alors qu’il n’a pas été réalisé par son créateur George Lucas, mais par Irvin Kershner. De même, on pourrait parler de l’industrie des comics en prenant l’exemple de nombreux héros de Marvel créés par Stan Lee mais dont les histoires les plus marquantes sont dues à d’autres auteurs. Dans cette chronique, nous allons certes parler de comics américains, mais pas de super-héros. Nous allons parler de La Jeunesse de Picsou, qui est pour moi un véritable modèle en terme d’évolution de personnage et qui montre avec brio comment exploiter des détails pour inclure de façon cohérente ses propres histoires dans l’œuvre originale.
Balthazar
McPicsou, de son nom original Scrooge McDuck, est apparu en 1947,
tout droit sorti de l’imagination de Carl Barks dans Noël
sur le mont Ours,
une aventure de Donald.
C’est à cet auteur plus que prolifique que l’on doit la
quasi-totalité des personnages les plus connus de l’univers de
Donald, comme le cousin Gontran Bonheur, l’inventeur Géo
Trouvetou, la troupe des Castors Juniors, les frères Rapetou et la
sorcière Miss Tick. Tous
ces personnages, combinés à la productivité de Carl Barks, ont
fourni le terreau nécessaire à la création d’aventures pour
Picsou et toute sa bande. Le travail de Carl Barks a inspiré plus
d’un auteur à travers le monde, et l’un d’eux se démarque de
tous les autres: Keno Don Rosa.
Don
Rosa est sans hésitation l’un de mes auteurs et dessinateurs
préférés. En
plus d’écrire des histoires captivantes, qu’il tire parfois
d’une simple bulle de dialogue des écrits de Barks, il réalise
des dessins très détaillés sans pour autant transformer ses pages
en fouillis. Une des choses que j’aime chez Don
Rosa
est le fait que même ses arrières-plans sont vivants, avec des
actions se déroulant
dans le décor sur plusieurs cases, tandis que les personnages
discutent au premier plan. Enfin,
chaque histoire de Don Rosa s’ouvre sur une grande case dans
laquelle sont dissimulés les quatre lettres D.U.C.K, acronyme de
«Dedicated
to Unca Carl from
Keno»
dans lequel Don Rosa rend hommage à Carl Barks. Ces quatre lettres
sont à chaque fois très bien dissimulées, que ce soit dans la
forme des pierres au bord d’une rivière ou dans l’image d’un
timbre postal, et transforment chaque début de lecture en chasse au
trésor. D’ailleurs, à
chaque
fois que je me replonge dans une histoire de Don Rosa, je commence
par chercher le D.U.C.K perdu.
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Un exemple de D.U.C.K caché - Le Roi du Mississipi, page 1 |
Cette
longue introduction étant terminée, passons au sujet de cette
chronique. C’est
en 1991 que Don Rosa entreprend de nous narrer les origines de
Balthazar McPicsou à travers une série de douze épisodes intitulée
The
Life and Time of Scrooge McDuck,
connu en France sous le titre de La Jeunesse de Picsou. Par
la suite, Don Rosa enrichit cette biographie de nouvelles histoires
prenant place dans le passé de Picsou, mais commençant et se
terminant à Donaldville dans le présent. Ainsi, c’est avec un
total de dix-neuf histoires rédigée d’une main de maître par Don
Rosa que l’on découvre l’histoire de Picsou, de son enfance en
Écosse à l’époque actuelle où il est devenu le canard le plus
riche du monde.
Durant
cette chronique, je vais devoir aborder certains évènements de
l’histoire. Il y aura donc quelques petits spoilers, mais je vais
me limiter au strict minimum en décrivant les situations de façon
très générique. Ainsi, je vous laisserai le plaisir de la
découverte aussi intact que possible.
Si
vous ne connaissez Picsou que de loin, peut-être qu’il n’est
pour vous qu’un vieux canard aigri, dont le seul trait de caractère
est d’être incroyablement radin, malgré son immense fortune. Dans
ce cas, plongez-vous dans La Jeunesse de Picsou, où vous découvrirez
un personnage bien plus complexe que vous ne l’auriez imaginé.
Dernier
héritier mâle de l’ancestral clan McPicsou, Balthazar naquit en
1867 à Glasgow, en Écosse.
Malgré
son glorieux passé, le
clan est ruiné et déshonoré depuis de nombreuses années et ses
derniers membres vivant dans le pays sont Balthazar et sa famille.
Ces
derniers vivent dans la misère et, à l’âge de dix ans, Balthazar
commence à travailler en tant que cireur de chaussures. C’est
ainsi qu’il gagnera son premier sou, une pièce américaine n’ayant
pas cours dans son pays. Balthazar apprit alors sa première leçon:
il y aurait toujours des gens pour chercher à profiter de lui, ce
serait à lui d’être méfiant et désormais, il vérifierait
chaque sou qu’on lui paierait. Petit à petit, Balthazar put
investir dans du matériel supplémentaire, s’offrit un chariot
pour récolter et vendre du bois de chauffage, puis de la tourbe.
Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Balthazar
McPicsou n’a pas hérité de sa fortune, il l’a gagnée pièce
après pièce à la sueur de son front, ce qui explique pourquoi il
est si attaché. Comme le dit l’une des cases d’introduction du
premier épisode, intitulé Le
dernier du clan McPicsou,
«Il
connaît l’histoire de chaque pièce. Toutes ensemble, elles
racontent l’histoire de sa vie.».
Chaque
épisode qui suivra racontera une aventure du jeune Balthazar à
travers le monde. Durant
celles-ci, il rencontrera des personnes desquelles il apprendra des
leçons de vie et des compétences pratiques. Un
des objectifs de Don
Rosa était
de rendre
l’histoire de Balthazar crédible en l’ancrant au maximum dans la
réalité historique.
Pour
cela, il le fait notamment
côtoyer des personnalités de l’époque, comme Théodore Roosevelt
avant
qu’il devienne président des
États-Unis,. Celui-ci lui transmettra le goût du travail et l’idée
que naître riche n’a rien d’un exploit, contrairement au fait
d’amasser sa fortune à la sueur de son front. Ce
sera aussi l’occasion de rencontrer les ancêtres de certains
personnages des aventures contemporaines de Picsou. Les
évènement historiques auxquels Picsou prend part sont également
traités avec beaucoup de précision par Don Rosa, qui fait preuve
d’un sens du détail quasiment obsessionnel dans l’élaboration
de ses histoires. Il
se documente énormément de façon à ce que chaque détail colle au
mieux à l’Histoire.
Comme
on vient de le voir, Picsou apprendra vite la valeur du travail
acharné et du salaire durement mérité. C’est d’ailleurs ce qui
rythmera sa vie pendant plus de la moitié du récit: il travaillera
durement sans jamais faire fortune, mais accumulera des souvenirs
impérissables et vivra maintes aventures.
Puis vient le chapitre le plus important de La Jeunesse de Picsou:
L’Empereur
du Klondike.
C’est durant sa période en tant que prospecteur au Klondike que
Picsou trouvera la pépite d’or qui le rendra riche. Après cette
aventure, rien ne sera plus pareil: il enchaînera les succès et
accumulera petit à petit son immense fortune. Néanmoins, Don Rosa
explique que la partie se situant avant L’Empeur
du Klondike
correspond à l’action montante, tandis que celle se situant après
correspond à l’action retombante. En effet, Picsou va tout d’abord
hésiter avant de nettoyer sa pépite recouverte de boue. Il est
conscient qu’une pépite d’or de cette taille ferait de lui
l’homme le plus riche du Klondike, mais alors qu’il est sur le
point d’atteindre son rêve de fortune, il se demande soudain ce
que cela lui apportera. Sa réflexion se conclue par une phrase
résumant toute sa pensée: «Est-ce que je veux vraiment être
riche?». L’instant d’après il décide que oui.
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Balthazar trouvant la pépite qui le rendra riche - L'Empereur du Klondike, page 24 |
C’est
aussi durant son passage au Klondike que Picsou va rencontrer son
seul et unique amour: Goldie O’Gilt, une danseuse de saloon qui
essaiera de lui voler sa pépite d’or. Pour la punir, il l’emmènera
dans sa concession (dont il est le seul à connaître l’emplacement)
et
l’obligera à prospecter pour qu’elle découvre le travail fourni
par ceux qu’elles dépouille sans remords. C’est durant cette
période qu’ils vont se rapprocher tout en refusant de s’avouer
leurs sentiments respectifs. Balthazar restera marqué par sa
rencontre avec Goldie pendant tout le reste de sa vie. Je vous invite
d’ailleurs à vous plonger dans l’arc narratif du Klondike pour
découvrir leur histoire: L’Empereur
du Klondike,
La
Prisonnière de la vallée de l’Agonie Blanche,
Les
Deux Coeurs du Yukon
et Dernier
raid pour Dawson.
C’est
durant les chapitres qui suivront que Balthazar va devenir obsédé
par l’idée de s’enrichir encore plus, ce qui réveillera en lui
une part sombre qui le poussera à commettre la seule mauvaise action
de sa vie. Cette mauvaise action le poursuivra tout le reste de son
existence en la personne de Bombie, un zombie envoyé par un chaman
pour le traquer. Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande de
lire Bombie
le zombie
de Carl Barks.
Et
tant que j’y pense, ces aventures vous permettront de découvrir
qu’avant d’être un vieillard, Picsou était un jeune homme (ou
un jeune canard?) plein d’énergie qu’il ne fallait pas énerver.
Une sorte d’ultime mélange entre Indiana Jones et un T-800,
capable de dompter un lion en rugissant plus fort que lui, de
remonter un fleuve gelé à dos d’élan et de briser les cheminées
d’un bateau à mains nues.
On
peut maintenant
aborder la deuxième grande notion qui, avec le travail, guidera la
quête de Balthazar: sa famille et ses proches. Si il est parti de
chez lui pour faire fortune, c’est avant tout pour permettre à sa
famille de mieux vivre et de regagner sa gloire d’antan, afin que
les McPicsou soient
de nouveau respectés. Lors
de son premier retour à la maison, dans Le
Maître du Manoir McPicsou,
il sera toujours très attaché à sa famille et ira même jusqu’à
se battre en duel à l’épée pour défendre l’honneur du clan.
Ce chapitre sera d’ailleurs l’occasion de rencontrer certains de
ses ancêtres lors d’une scène dont je vous laisse le plaisir de
la découverte.
En
revenant du Klondike sur sa terre natale d’Écosse, Balthazar est
accueilli avec joie par sa famille, mais à coup de tomates par la
foule qui le voit maintenant comme un riche prétentieux. C’est
ainsi que les rapports entre lui et les gens
plus modestes commencent à se dégrader. Quelques
années plus tard vient
le moment où Picsou agira mal pour la seule fois de sa vie, erreur
qui lui coûtera la confiance de ses deux sœurs et sa traque par
Bombie le zombie.
Il réalise vite son erreur, mais il ne retrouvera pas ses sœurs et
se lancera dans d’innombrables chasses au trésor qui l’amèneront
à repousser sans cesse son retour à la maison.
De
retour à Donaldville après des années d’absence, il
décide d’ignorer une foule de mendiants devant
son coffre-fort,
action accompagnée d’une phrase résumant toute son évolution
morale: «Le petit cireur de Glasgow aurait été ému par ces appels
au secours, mais le grand Balthazar Picsou est un autre homme.».
C’est d’ailleurs dans ce même chapitre que ses relations avec sa
famille vont terminer de se dégrader, alors qu’il avait une
opportunité en or de recoller les morceaux. Au lieu de fêter
ses retrouvailles avec
ses proches, Balthazar les
ignore
et s’enferme dans son bureau. Devant la colère de sa sœur
Hortense, il ne trouve alors qu’une chose à répondre: «J’ai
quitté la maison à treize ans pour vous nourrir! Voilà le
résultat! S’il ne vous plaît pas, dehors!». L’instant
d’après, Balthazar repense aux
bons souvenirs qu’il doit à sa famille et réalise qu’il est
certes le canard le plus riche du monde, mais qu’il est surtout
seul et malheureux.
La
Jeunesse de Picsou se conclut ensuite dans un chapitre final très
inspiré de Noël
sur le mont Ours,
la toute première histoire où il est apparu des mains de Carl
Barks, et je vous laisse le plaisir de la découvrir en entier.
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Picsou est maintenant richissime, mais il comprend qu'il est surtout seul - Le bâtisseur d'empires du Calisota, page 23 |
Pour
conclure, La Jeunesse de Picsou est une œuvre majeure de l’univers
de ce cher canard multi-milliardaire. Elle a contribué à étoffer
le
personnage en en
faisant un personnage plus complexe qu’on ne pourrait le croire au
premier abord. Au début cireur de chaussures s’étant promis de
devenir riche honnêtement, il a connu une vie modeste mais heureuse
en savourant les fruits de son labeur, puis a succombé à l’appât
du gain pour finalement se rendre compte que l’argent ne fait pas
le bonheur et que la famille et la façon dont on gagne cet argent
sont bien plus importantes.
Enfin,
c’est aussi une biographie fictive qui réussit à s’ancrer dans
la réalité, dessinée d’une main de maître et transmettant
d’excellentes leçon de vie. Si vous appréciez la bande-dessinée
ou l’univers de Donald et Picsou, je ne peux que vous encourager à
la lire d’urgence.
Petit
bonus: voici quelques histoires de Don Rosa que je vous conseille de
lire si vous ne savez pas trop par laquelle commencer.
Une
lettre de la maison :
une quête du trésor des Templiers qui permet de mettre en valeur la
relation entre Picsou et sa sœur Mathilda. Des
énigmes, de l’aventure, de l’humour, des confréries secrètes,
de l’émotion. Que demander de plus?
Un
petit cadeau très spécial :
pour fêter les soixante ans de l’arrivée de Picsou à
Donaldville, un concours de cadeaux pour ce dernier est organisé.
Hélas, cela semble cacher quelque chose de beaucoup plus
important...
Le
retour des Trois Caballeros :
Donald
retrouve par hasard
ses deux meilleurs amis: José Carioca et Panchito Pistoles, avec qui
il a autrefois vécu toutes sortes d’aventures. Ils
partent à la recherche d’une mystérieuse cargaison d’argent
perdue.
Les
Sept Fantastiques Caballeros (moins quatre) :
une autre aventure de Donald, José et Panchito, les Trois
caballeros, qui
se lancent cette fois-ci sur
les traces d’une cité perdue au
cœur de la jungle brésilienne.
Picsou
contre le Chevalier Noir :
Arpène Lucien, voleur de renommée internationale connu sous le
surnom de Chevalier Noir, débarque à Donaldville pour accomplir le
plus grand vol de sa vie: le coffre-fort de Picsou.
Le
Trésor de Crésus
: Picsou entreprend de reconstruire le temple d’Artémis, dont les
colonnes dissimulent l’emplacement du trésor de Crésus, qui
aurait été l’homme le plus riche de l’Histoire.
Chat
sœur de trop fée :
Donald parie avec ses trois neveux qu’ils est plus calé qu’eux
en animaux exotiques, et il est prêt à tout pour leur donner tort.
Merci à FabledHeartless pour sa relecture de cette chronique!
Merci à FabledHeartless pour sa relecture de cette chronique!
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